4. Crise et contestation (1973-1989)

Evolutions sur le plan budgétaire

Pendant la période 1974-1981, les Travaux Publics essaièrent de rester sur la lancée de la période précédente. Le département continua à investir massivement dans des projets grandioses, pour autant que le gouvernement en offrait la possibilité. Ces projets purent stimuler directement et indirectement l'économie du pays. L'attention de l'Administration des Routes se déplaça néanmoins au fur et à mesure vers le réseau routier ordinaire, partiellement parce qu'elle l'avait déjà décidé au début des années 1970, partiellement parce que l'achèvement du réseau autoroutier devint sujet à la contestation au fil du temps.

En 1982 une période d'économies générales commença. L'économie belge dut faire face d'une autre manière à la crise persistante et par conséquent les gouvernements pratiquèrent une politique d'économies très stricte. Les finances publiques furent assainies drastiquement et les investissements, entre autres dans la construction de routes, furent une des premières victimes.

Davantage de crédits pour les routes ordinaires et pour l'entretien

Lors de sa prise de fonction en 1974, le ministre des Travaux Publics, Jean Defraigne, se fixa lui et son administration plusieurs objectifs au sujet de la politique des routes. A côté de l'achèvement des travaux en cours, il fallait accélérer la construction d'autoroutes dans les régions encore reculées (plus spécifiquement les Ardennes). Par ailleurs il fallait construire des contournements et des boulevards de sorte que les villes puissent faire face au volume du trafic croissant. Enfin le ministre voulut accorder plus d'attention à la modernisation des routes ordinaires.

Pour la première fois depuis 1959, plus de crédits furent dégagés dans le budget de 1974 pour les routes ordinaires (voir graphique). Cette tendance se développa année après année; partiellement à cause de l'allègement du programme autoroutier et la construction des voies express à la place des autoroutes prévues. Le gouvernement accorda en 1973 et 1974 seulement 72,5% des crédits prévus, ce qui ne causa pas seulement des retards dans l'exécution de certains travaux routiers, mais aussi un report d'un à deux ans de projets non entamés. La limitation fut abandonnée en 1975. La crise économique avait débutée, et le gouvernement considérait à l'origine l'amélioration de la conjoncture (donc investir plus de nouveau) plus importante que le combat contre l'inflation.

Investissements dans la construction de routes, 1973-1977.
Investissements dans la construction de routes, 1973-1977

Des économies furent bien réalisées sur l'éclairage des autoroutes. Le choc pétrolier de décembre 1973 avait fait prendre conscience à la population que l'énergie était un bien précieux. L'éclairage public suscitait chez l'automobiliste une impression de gaspillage. Déjà à la fin de cette année, le gouvernement décida d'éteindre l'éclairage sur les autoroutes, sauf à hauteur des accès. En septembre 1974 nos autoroutes se retrouvèrent entièrement dans le noir. C'était principalement une mesure avec un effet psychologique, car l'éclairage des autoroutes ne représentait qu'une fraction, à savoir 1/2000, de la consommation totale annuelle de toutes les sources d'énergie dans le pays (c'est ce que du moins le ministre Guy Mathot affirmait). L'extinction de l'éclairage était seulement temporaire, mais fut par après répétée plusieurs fois.

Par loi du 22 janvier 1977, le Fonds des Routes reçut quelques tâches de plus. Dorénavant il était aussi garant de l'entretien des routes et autoroutes qui auparavant était financé par le budget régulier. Les associations intercommunales devaient en outre être remboursées des crédits qu'ils avaient investis dans la construction d'autoroutes. Le Fonds des Routes reprit également de l'Etat cette fonction. Pour pouvoir exécuter ses nouvelles tâches d'une manière appropriée, le fonds reçut une partie des recettes des taxes et impôts liés aux transports. Kirch, inspecteur des Finances, trouvait que le Fonds des Routes n'était plus nécessaire en tant qu'institution autonome. En effet, le fonds avait accompli ses tâches initiales. Il est possible qu'il fut maintenu à cause du statut spécial de son personnel et sa capacité d'émettre des emprunts.

Lorsque le gouvernement décida en 1978 d'accélérer les travaux d'expansion du port de Zeebrugge, l'équilibre communautaire qui existait au département des Travaux Publics depuis 1970, était menacé. Le ministre Guy Mathot composa un Programme d'Infrastructures Prioritaires (P.I.P.) dans lequel un certain nombre de projets, principalement dans la partie wallonne du pays, reçurent la même priorité que les travaux à Zeebrugge.

Budgets pour la construction et l'entretien de l'infrastructure routière, au compte du Fonds des Routes ainsi qu'à celui des intercommunales pour la période 1955-1985.
Budgets pour la construction et l'entretien de l'infrastructure routière, 1955-1985

Le graphique ci-dessus montre la courbe des crédits qui furent consacrés à l'infrastructure routière. Depuis 1976 les budgets pour la Wallonie dépassèrent substentiellement ceux pour la Flandre. Pourtant la clé de répartission suivante était d'application pour les Travaux Publics: 60% des crédits allaient vers des infrastructures en Flandre, 40% vers des travaux en Wallonie et 10% furent consacrés à Bruxelles. Les régions nécessitaient néanmoins une approche différente, c'est dans ce sens qu'on argumentait aux Travaux Publics: dans le nord du pays les chantiers aux ports et voies d'eau absorbaient la plupart des montants, alors qu'au sud il fallait surtout travailler à l'achèvement des autoroutes et dans la capitale il fut investi dans des nouveaux bâtiments publiques.

La crise persistait. En 1979 un deuxième choc pétrolier toucha l'économie. Entre-temps l'etat belge avait atterri dans une situation comparable à celle qu'il avait connue dans les années 1960, une situation dans laquelle il était de plus en plus difficile de chercher un financement adéquat des travaux d'infrastructure. Dans le budget on fit moins de place pour les grandes dépenses. L'influence de ces développements budgétaires sur la politique des autoroutes se traduisit par une décision du nouveau ministre des Travaux Publics, Jos Chabert: il obligea ses administrations de réduire le profil transversal des plate-formes des autoroutes à construire à 25 mètres, une largeur qui était considérée par certains ingénieurs complètement inacceptable d'un point de vue de la sécurité. Son successeur décida d'annuler cette mesure et ramena la largeur à 28 mètres.

Chabert prit par ailleurs à la fin de 1980 l'initiative de réaliser une nouvelle étude coût-bénéfice. Cette analyse contenait à peu près 625 projets routiers dont l'exécution n'était pas encore entamée. Des les vingt-cinq projets les plus rentables, il n'y en avait que trois en Wallonie et un à Bruxelles. La répartition inégale entre les régions rendait le rapport peu utilisable comme base pour des décisions futures. Le ministre Louis Olivier le considérait par conséquent comme un 'document de travail'. "L'étude concerne seulement un des points qui doivent être pris en considération lors de la rédaction des programmes d'investissements. Les priorités doivent être adaptées sur base du contexte socio-économique (qui ne peut être mathématisé)." En lieu et place de cela, il fallait selon Olivier un nouveau ordre plus réaliste, dans lequel on tiendrait compte des possibilités d'exécution réelles (plans de secteur et permis de bâtir), des motifs économiques (l'accèssibilité des régions reculées) et des impératifs politiques (la clé de répartition régionale).

Surtout depuis les années 1980, les Travaux Publics consacrèrent plus d'argent et d'attention à l'entretien des routes, qui avait reçu une position secondaire dans la répartition des crédits. Chabert déclara: "Le temps des grandes infrastructures routières et autoroutières approche de sa fin, ce qui va permettre, dans un futur proche, que l'attribution des crédits pour la route passe progressivement de la phase d'investissements vers celle de la modernisation et de la gestion du patrimoine routier existant."

La période des économies générales

Avec l'entrée en fonction du gouvernement-Martens V le 17 décembre 1981, une période d'assainissement budgétaire vit le jour. Les dépenses de l'Etat furent réduites considérablement. Pour nos infrastructures routières cela n'augurait rien de bon (voir aussi le graphique ci-dessus). Non seulement il y eut moins d'investissements dans les routes, mais l'entretien aussi en a souffert. En outre, de part les règles de budget, cet entretien ne pouvait plus être financé par des emprunts. Ce n'est pas un hasard que la Région Wallonne dut réaliser une reconstruction à grande échelle des autoroutes dans la province de Luxembourg dans la période de 2004 à 2006. La plupart des sections étaient réalisées dans les 'années de vaches maigres' entre 1980 et 1990; le revêtement avait au moment de la reconstruction à peine quinze à vingt ans.

Le 1er janvier 1982 les concessions des intercommunales furent retirés plus tôt que prévu. Le gouvernement-Martens IV l'avait décidé le 22 mars 1981, mais l'idée était déjà née quelques années auparavant. Six des sept associations durent mettre la clé sous le paillasson. L'Intercommunale E3 reçut un sursis d'un an car elle était la seule qui avait du personnel et la mutation de celui-ci vers le Fonds des Routes prit du temps. Le Fonds des Routes reprit de même l'entretien et la gestion, ainsi que le solde des dettes et les créances pour son compte.

Pourquoi un gouvernement décida dans des temps d'économies d'alourdir encore les charges de l'Etat? La raison officielle était que les intercommunales n'avaient plus de raison d'exister; leur tâches étaient presqu'accomplies. Mais est-ce que le gouvernement n'essayait-il pas de cette manière d'avoir plus de contrôle sur les attributions de crédits? Les associations intercommunales purent en effet déterminer leurs priorités elles-mêmes, après qu'une certaine somme leur soit allouée par l'Etat - et à partier de 1977 par le Fonds des Routes. Elles signifiaient de plus, dans les régions où une contestation s'était développée, une menace pour l'achèvement des autoroutes concédées. Il est évident que les groupes de pression et les comités d'action purent faire valoir leur influence plus fortement dans la politique locale qu'au ministère à Bruxelles.

Le gouvernement-Martens IV prit encore une autre décision drastique le 22 mars 1981. Il souhaitait décréter un moratoire jusqu'à la fin de l'année 1982 sur tous les nouveaux projets d'investissements concernant les autoroutes et voies express. Un groupe de travail serait formé pour trouver une définition du terme 'nouveaux projets d'investissements', mais à la moitié de l'année 1982 ce groupe de travail n'était toujours pas constitué et la mesure ne semble avoir jamais prit effet.

Même sans ce moratoire, de nombreux travaux routiers que les Travaux Publics avaient commencés pendant la précédente décennie, furent arrêtés durant les années 1980. Les 'travaux inutiles' avec lesquels la Belgique fut progressivement parsemée, entachèrent la réputation du département. En octobre 1986 le journaliste de l'RTBF, Jean-Claude Defossé, fit même une série de reportages sur les 'grands travaux inutiles'. Le comment et le pourquoi de quelques unes de ces 'gaffes' est expliqué dans la section Dossiers de ce site. A l'heure actuelle, beaucoup de ces tronçons, ponts et tunnels inutiles sont supprimés.

Pont inutile au dessus du canal Albert à Oostham. La voie express N73 devait décrire, selon les plans originels du début des années 1970, un tracé est-ouest d'une longueur d'environ 50 kilomètres de Kinrooi à Tessenderlo, où elle rejoindrait l'E313. Les plans ne furent réalisés qu'à l'ouest, et de la route un seul kilomètre est en service.
Vue du pont Vue d'en bas

Dans le Limbourg aussi, un pont suspendu fut construit au dessus du Canal Albert. Il faisait partie d'une route prevue à deux fois deux bandes, qui devait relier le campus universitaire à Diepenbeek à la N75 à proximité de Bokrijk. Le tracé formait un maillon dans la liaison rapide entre les villes d'Hasselt et de Genk. Depuis que le projet échoua, le pont fournit un maigre service aux cyclistes et au trafic local. Le trafic de passage en provenance d'Hasselt à direction de Genk doit prendre au sud du pont un virage serré vers l'est.
Vue du pont Vue au pied du pont

La clé de répartition qui valait depuis 1970 aux Travaux Publics, constituait une grande gêne pour une attribution fonctionnelle des crédits. Les besoins réels du trafic étaient d'importance secondaires. C'est probablement à cause de cette raison qu'on décida pendant la réforme de l'Etat de 1988 que les régions prendraient à leur propre compte les travaux publics sur leur territoire. La liberté de mouvement du département était d'ailleurs à ce moment déjà fort réduite. Un seul exemple suffit à le prouver. De par le fait que l'aménagement du territoire (et donc l'attribution de permis de bâtir) était déjà devenu une matière régionale pendant la réforme de l'Etat de 1980, les Travaux Publics nécessitaient toujours l'accord de la région en question lors de la construction d'une nouvelle route. Cela causa beaucoup de difficultés dans, entre autres, la construction des autoroutes A8 (E429) et A17 (E403).

Par loi du 8 augustus 1988 l'état belge transféra le 1er janvier 1989 les compétences concernant la gestion et la construction de routes, autoroutes et voies d'eau aux trois régions. Le ministre des Travaux Publics, Paula D'Hondt Van Opdenbosch, démissionna le 16 janvier 1989 et dans le courant des années suivantes les organes de conseil nationaux furent supprimés. Le Fonds des Routes fut dissous le 28 novembre 1991. Quelques compétences restèrent au niveau national; elles étaient dorénavant sous la responsabilité du ministre des Communications et de l'Infrastructure.

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