4. Crise et contestation (1973-1989)

Doute augmentant sur l'achèvement du réseau autoroutier

Un des facteurs les plus influençants qui a guider la politique routière pendant les années 1970 et 1980 est l'attitude toujours plus négative de l'opinion publique vis-à-vis des autoroutes. Il serait néanmoins injuste d'affirmer que le département des Travaux Publics pouvait réaliser auparavant ses projets sans problèmes. Le phénomène dit 'NIMBY' ('Not In My Backyard', c'est à dire l'attitude des riverains concernant de nouvelles infrastructures qui sont prévues dans leurs environs) et le point de vue contestataire des propriétaires fonciers qui sont sur le point d'être expropriés, sont des formes de contestation qui ont toujours existé. Les écologistes aussi ont souvent - et avec succès - fait parler d'eux, par exemple dans le Peerdsbos, traversé par l'E19 à Brasschaat, ou dans le bois d'Heverlee où un parking le long de l'E40 était planifié.

Pourtant ces entraves locales ne sont pas comparables à l'atmosphère générale de résistance qui se créa depuis 1973. La critique de l'opinion publique n'augmenta pas seulement en fréquence, mais devint aussi plus forte et dépassa le cas particulier. Dans l'esprit de la crise économique et des économies la politique routière entière fut remise en question. Les Travaux Publics eut recours à un type de route plus toléré: la voie express.

L'utilité d'autoroutes supplémentaires mise en question

En 1974, l'économiste de transports E. Jacobs publia un article critique dans le magazine du Vlaams Economisch Verbond (VEV). Généralement dit, il reprochait aux preneurs de décision d'avoir élaboré un "planning sans base": la plupart des autoroutes était la où le trafic n'en avait pas besoin. Dans sa critique du modèle par grillage qui fut intégré à partir de 1971 au programme autoroutier et qui était considéré comme l'exemple type de cette politique illicite, Jacobs n'était pas seul. C'était un modèle de routes généralement accueilli négativement dans l'économie de transports.

Le ministre des Travaux Publics, Alfred Califice, n'était jusqu'ici pas d'accord. Lorsqu'un sénateur questionna le système par grillage pendant l'été de 1973, il répondit: "Déjà plusieurs reprises, mes services ont indiqué que, à moins que des faits inconnus actuellement jouent un rôle, le nombre de véhicules en Belgique en 1985 atteindra le double de celui d'aujourd'hui. Même si toutes les autoroutes et routes nationales prévues à présent seront achevées, on peut se poser la question de quelle sera l'utilité des questions parlementaires de l'année 1985 à ce sujet."

En 1975 sept professeurs exécutèrent une étude coût-bénéfice des autoroutes et voies express planifiées sur l'initiative de la Fédération Routière Belge. Ils élaborèrent un plan quinquennal pour le réseau routier belge sur base de critères ayant trait au trafic, plus particulièrement à l'occupation prévue du trafic. Des 51 projets autoroutiers repris, le 'rapport Kirschen' en retenut 32, dont la plupart apportait un faible coëfficiënt de rentabilité. Par ailleurs la majeure partie des investissements devait avoir lieu dans la partie flamande du pays, une constatation qui contredisait la clé de répartition régionale, introduite en 1970. Les professeurs conclurent: "En 1975 la réalisation de nouvelles liaisons comme autoroute est peu ou pas rentable et exige en outre un budget important." L'A8 (E429) Bruxelles-Tournai, l'A11 Bruxelles-Knokke, les autoroutes ardennaises (E25 et E411) et les liaisons nord-sud du modèle par grillage reçurent un avis négatif.

Les ministres des Travaux Publics purent nier facilement la critique rationellement argumentée des scientifiques. Bien que le ministre Jean Defraigne annonça lors de la réception du 'rapport Kirschen' "qu'il sera un tournant dans l'histoire des routes belges, et qu'il deviendrait un des guides principaux lors du choix et de la réalisation des programmes routiers," les années après on en tint à peine compte.

On ne peut pas nier que la population manifestait une résistance croissante contre la poursuite de la construction d'autoroutes. Cette protestation (dont beaucoup d'éléments continuent d'exister au jour d'aujourd'hui) se basait pourtant sur des arguments beaucoup moins raisonnés; c'était même partiellement une simple question de perception. Les autoroutes abîmaient la nature et occupaient les grands espaces. On se focalisait sur ce fait sans qu'on ne prenne garde à l'urbanisation éffrénée et la construction en ruban, qui se livraient à des excès surtout dans le nord du pays. La crise pétrolière créa une atmosphère 'anti-routes'; néanmoins ce n'était en fait pas les routes mais les utilisateurs de la route qui utilisaient le plus d'énergie. La croissance du parc automobile continua cependant inperturbablement.

Un siècle de voitures privées en Belgique (1903-2006). Source: SPF Economie - Direction générale Statistique et SPF Mobilité et Transports (DIV).
Développement du parc automobile

A partir de 1974 un foisonnement de comités d'action virent le jour, parmi lesquels le Aktiekomitee A24 au Limbourg, le Westhoek Autosnelwegenkomitee en Flandre-Occidentale, la Omer Wattezstichting (Fondation Omer Wattez) dans les Ardennes flamandes, et même un Anti-Autosnelwegenfront (Front Anti-Autoroutes) qui se donnait pour but de coordiner les actions des différents groupements.

Le ministre Defraigne fit exécuter un sondage en septembre 1974 pour savoir si de nouvelles autoroutes étaient désirables. 68,5% des enquêtés étaient d'avis que notre pays comptait suffissement d'autoroutes. Le degré de satisfaction était cependant plus petit en Wallonie qu'en Flandre. Par ailleurs le belge moyen estimait que plus d'attention devait être consacrée aux routes ordinaires, et à l'amélioration de la qualité. Enfin la construction des autoroutes (et des voies express) fit apparaître qu'on ne tenait pas suffissement compte de la protection de l'environnement.

Le changement des mentalités dans la population et (de plus en plus) dans le monde politique eut pour conséquence un amincissement systématique du programme autoroutier. La plupart des autoroutes qui n'étaient pas considérées prioritaires en 1973, furent déclassées en voie express. Le total de kilomètres d'autoroutes, que Califice avait déjà réduit de 2400 à 2000 km après la crise pétrolière, fut trois ans plus tard encore réduit à 1850 km par le ministre Louis Olivier. A la place de cette réduction 500 km de voie express sont venus s'ajouter.

La route express comme solution de compromis

Les voies express sont un phénomène typiquement belge. Elles apparaissent dans toutes sortes de gabarits; beaucoup ont même l'apparence d'une autoroute: les sens de circulation comptent chacun deux voies et sont séparés par une berme centrale, ce qui permet une vitesse maximale de 120 km/h. A cause de l'inexistance de croisements dénivelés, la capacité de ce type de route est trois fois plus faible que celle d'une véritable autoroute.

Une voie express n'est pas un type de route défini par la loi. L'appellation existe dans le langage courant et désigne la plupart du temps une route qui a beaucoup de ressemblance avec une autoroute. Sur beaucoup de voies express, par exemple celle sur la photo ci-dessous (la N4 près de Marche-en-Famenne aux environs de 1975) on ne trouve pas de bande d'arrêt d'urgence, de croisements dénivelés et/ou une berme centrale.
Route express

Bien que les voies express au jour d'aujourd'hui - justement à cause de la haute vitesse autorisée combinée avec des croisements à niveau - sont considérées comme des liaisons peu sûres, leur construction dans les années 1970 était très 'à la mode'. Selon le livre Wegen gisteren en vandaag qui fut publié en 1979 par le Ministère des Travaux Publics, la voie express réussit à "concilier d'une manière optimale les avantages des autoroutes avec une réduction considérable des dépenses." Une autoroute devait en effet satisfaire à des exigences très strictes (des larges chaussées, la présence d'une bande d'arrêt d'urgence); celles-ci n'étaient pas d'application pour les voies express, ce qui les rendait éminemment moins chères. De plus elles prenaient moins de place et causaient donc moins de contestation de la part de la population locale, qui néanmoins pouvait compter sur une liaison rapide avec les régions avoisinantes.

Pour la défense du choix entre une autoroute et une voie express, les ministres des années 1970 utilisèrent à tort et à travers le principe du 'réseau autoroutier fermé'. Cela voulait dire qu'aucune autoroute ne pouvait déboucher sur une route ordinaire, mais devait toujours être une liaison entre deux autres autoroutes. Alors que l'autoroute A24 Eindhoven-Huy pouvait se terminer à hauteur de Saint-Trond et pouvait continuer vers le sud comme voie express - une décision prise en 1973, l'A19 entre Ypres et Furnes devait être réalisée en tant qu'autoroute car sinon elle serait "complètement en contradiction avec la conception d'un réseau autoroutier fermé; ceci est une nécessité technique."

Une quantité importante de projets autoroutiers tombèrent ou furent modifiés drastiquement lors du processus décisionnel des plans de secteur définitifs, qui eut lieu entre 1976 et 1980. La population et les autorités locales reçurent une voix consultative dans les dossiers et forcèrent l'Administration des Routes à renoncer définitivement à ses projets ambitieux. Une fois les plans de secteur, avec les tracés de route conservés, approuvés par arrêté royal, il fut extrèmement difficile pour les Travaux Publics de construire des routes qui n'était pas reprises sur les plans. La coordination - quand il y en avait - laissa plus d'une fois à désirer. Ainsi, le tracé de l'A2, repris sur le plan de secteur de Louvain, ne reçut aucune connexion avec celui de Hal-Vilvorde-Asse.

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