2. Les premières autoroutes (1935-1965)

Une politique routière moderne et axée sur l'avenir

Une réflexion à long terme est une condition nécessaire pour pouvoir exécuter une bonne politique, certainement dans un département tel que celui des Travaux Publics. Bien que cette réflexion soit probablement vieille comme le monde, on n'a pas toujours agit selon cette 'évidence' lors de la réalisation des projets infrastructurels durant la première moitié du vingtième siècle. La période 1949-1955 apporta néanmoins un renouveau qui serait déterminant pour la politique routière pendant les trois prochaines décennies.

Pendant sa première année encore, en tant que directeur-général des Ponts et Chaussées, Hondermarcq publia une 'Déclaration sur la modernisation du réseau routier'. Les statistiques du trafic très limitées et rudimentaires qui étaient disponibles jusqu'alors, ne pouvaient pas servir de base pour une analyse de la problématique des routes. Hondermarcq fonda un service ayant trait au trafic, qui fut chargé entre autres de la réalisation de comptages quinquennaux systématiques. Ceux-ci devaient révéler les flux actuels du trafic, sur base desquels on devait ensuite développer un programme et définir des priorités. On utilisa de même ces recensements pour justifier certains investissements et vérifier leur rentabilité par après.

Les constatations étaient inquiétantes. Il apparut des comptages qu'une fois de plus, "les développements sensationnels du trafic avaient surpassés toutes les prédictions." De 240 352 en 1939, le nombre des véhicules augmenta en 1949 jusqu'à 369 207, soit une augmentation de 54%. L'augmentation de 49% vis-à-vis de 1947, lorsqu'on compta 248 000 véhicules, montrait en plus que pendant ces deux dernières années surtout, un développement sans précédent se produisait dans le parc automobile. Les plus grandes densités du trafic furent mesurées dans les grandes agglomérations et sur les axes entre les régions industrielles et Bruxelles ou le port d'Anvers, une réfléxion de la structure économique de notre pays à ce temps-là.

Sur base de cette analyse, un programme de modernisation devait être établi et exécuté. La réparation et l'adaptation des routes, comme déjà mise en marche pendant l'entre-deux-guerres, furent continuées à un rythme accéléré. Sur les axes où un élargissement semblait impossible, des nouvelles routes (autoroutes) devaient apporter un allégement des routes saturées.

Au niveau national: le programme d'Hondermarcq (1949)

Le premier programme autoroutier national, établi par Hondermarcq, comptait 930 km. Presque chaque autoroute du programme formait un dédoublement de la chaussée parallèle et probablement surchargée. Le modèle radial - des autoroutes partant de Bruxelles, Anvers et Liège - qui en fut le résultat, traçait les itinéraires les plus simples, mais par conséquent pas d'une manière la plus efficace (surtout au long terme). On peut trouver l'alternative aux Etats-Unis, en Allemagne et aux Pays-Bas, des pays où les autoroutes furent plutôt tracées selon un modèle par grillage.

Le programme autoroutier de 1949.
Programme autoroutier de 1949

Afin de pouvoir réaliser ce programme le plus rapidement possible - le directeur-général optimiste prévoyait un délai de seulement quinze ans! - l'organisation fut adaptée. Le ministre Oscar Behogne fonda le 31 mai 1949 un Service des Autoroutes sous l'Administration des Routes, qui reçut la tâche de dessiner les premiers plans des autoroutes projetées. L'exécution des travaux continua de se dérouler sous la direction des services locaux.

Au niveau international: la Déclaration de Genève (1950)

La tendance à une collaboration internationale plus étroite, en vogue dans toute l'Europe après la Seconde Guerre Mondiale, toucha aussi la politique routière. Le Conseil Economique pour l'Europe (ECE), une organisation intergouvernementale sous le giron des Nations Unies, supportait déjà depuis sa création en 1947 un réseau transeuropéen de routes, qui profiterait au transport routier international et par conséquent les relations commerciales entre les états. L'ECE reprit des anciens projets plus ou moins semblables datant de l'entre-deux-guerres, qui ne purent pas trouver de support dans le climat de crise et de nationalisme de cette époque. De nombreuses négociations et réunions menèrent finalement à la 'Declaration on the Construction of Main International Traffic Arteries' (Déclaration sur la construction de grandes routes de trafic international).

L'Etat belge s'est toujours profilé dans les années de l'après-guerre comme défendeur convaincu de la collaboration entre les pays de l'Europe de l'Ouest. Il n'est pas étonnant que la Belgique fut un des cinq pays qui signèrent la Déclaration à Genève le 16 septembre 1950. Bien que pendant les années suivantes de plus en plus de pays y adhérèrent, seulement les Pays-Bas, le Luxembourg, la France et le Royaume-Uni se lièrent, comme la Belgique, à l'accord initial.

La déclaration de Genève relia les principales villes européennes entre elles par les 'routes européennes'. Les trente premiers numéros furent réservés pour les liaisons internationales importantes; les axes secondaires reçurent les numéros E31 jusqu'à E106 inclus. Le réseau avait au Benelux une plus grande densité qu'ailleurs. La Belgique, de part sa situation de pays de transit, comptait pas moins de 1115 km de routes européennes, c'est à dire 0,037 km par km².

Routes européennes sur le territoire belge.
numéro européen route
E3 (Lisbonne) – Lille – Gand – Anvers – Hechtel – Venlo – (Stockholm)
E5 (Londres) – Calais – Ostende – Bruxelles – Liège – Aix-la-Chapelle – (Ankara)
E9 (Amsterdam) – Maastricht – Liège – Arlon – Luxembourg – (Gênes)
E10 (Groningue) – Breda – Anvers – Bruxelles – Mons – Valenciennes – (Paris)
E39 Hechtel – Hasselt – Maastricht – Aix-la-Chapelle
E40 Bruxelles – Namur – Luxembourg
E41 Liège – Namur – Mons

La Déclaration ne fixa pas seulement le trajet des routes européennes, elle posa également certaines conditions à ces routes; ainsi le confort des usagers devait être garanti par, entre autres, une chaussée suffisamment large (minimum 7 mètres) et par les commodités annexes. Ceci allait des bureaux de douane, garages, parkings, postes de premiers secours, cafés et restaurants, jusqu'aux bornes téléphoniques le long des routes ou dans leurs environs.

Les routes européennes étaient conçues purement théoriquement; c'était à chaque état de réaliser ce réseau 'sur le terrain', en tenant compte des conditions géographiques. Le directeur-général Hondermarcq avait collaboré activement à la Déclaration. Ce n'était dès lors pas une surprise que la carte du programme autoroutier national de 1949 ressemblait fortement à la carte du réseau européen en Belgique. A l'exception de l'E9 (maintenant l'E25) et l'E40 (l'E411 actuelle), toutes les routes européennes dans notre pays seraient réalisées avec le statut d'autoroute.

La Déclaration fut depuis son approbation par le parlement (loi du 1er avril 1954) un fil conducteur important pour la construction des autoroutes. Par exemple, l'E10 (l'actuelle E19) et l'E3 (E17 à présent) furent construites en tant que routes internationales E10 et E3 (et non comme autoroutes nationales Bruxelles-Mons ou Courtrai-Anvers), bien qu'elles étaient divisées en plusieurs parties. Quatre des sept intercommunales, qui furent fondées entre 1963 et 1971 pour la construction de certaines autoroutes empruntèrent aussi leur nom au numéro européen correspondant. Dans la seconde partie des années 1960, la Belgique commença à utiliser la numérotation européenne le long des routes. Nos autoroutes furent désignées dès le début par leur numéro européen. Tandis que la plupart des pays d'Europe emploie principalement une numérotation nationale propre, notre pays a jusqu'au jour d'aujourd'hui resté fidèle à l'esprit de l'accord de 1950.

Ancienne signalisation près de Ranst. Ici, la commune a oublié d'actualiser les numéros des autoroutes.
Anciens numéros européen à Oelegem

Dans les années 1970, une révision du réseau européen s'imposa. De plus en plus de pays souhaitaient s'intégrer dans le réseau international. Cela conduit en 1975 à une nouvelle Déclaration de Genève, dans laquelle la numérotation actuelle fut déterminée. En 1985-1986, les panneaux indicateurs en Belgique furent adaptées ou remplacées selon les nouveaux numéros.

Le financement: le Fonds Autonome des Routes

Déjà dans sa 'Déclaration sur la modernisation du réseau routier', Hondermarcq plaidait pour une réglementation qui pouvait pourvoir aux crédits nécessaires et qui garantissait la continuité du financement des travaux. Par conséquent, le ministre Behogne créa par loi du 11 juillet 1952 un quatrième fonds spécial et temporaire des routes, avec la tâche de réaliser le programme autoroutier de 1949. Ce fonds était, tout comme les précédents, un tour de main budgétaire pour échapper à l'annuité du budget, un principe qui n'était pas approprié pour la réalisation d'un programme à long terme. Jusqu'en 1965, le gouvernement prévoirait chaque année 850 millions de francs dans le budget extraordinaire, et les allouerait au fonds. Mais étant donné que la dotation était toujours soumise de facto au vote du budget, on dévia souvent de ce montant fixe.

Par conséquent, on pouvait constater en 1955 que des 930 km des autoroutes projetées, à peine 50 km étaient achevés. Aussi bien à l'intérieur de l'administration qu'entre les représentants des usagers et des constructeurs des routes, des vois s'élevèrent, réclamant une institution qui, indépendamment du budget, pouvait rassembler des fonds. Ils pouvaient compter sur l'entière approbation du ministre des Travaux Publics et de la Reconstruction, Omer Vanaudenhove.

La stagnation dans la construction et l'entretien de notre réseau lui était insupportable, certainement quand il fit la comparaison avec les pays avoisinants. A fortiori avec l'exposition mondiale de 1958 en vue et qui devait devenir une enseigne pour la Belgique. Selon lui, le principe de l'annuité budgétaire introduit en 1885, était la cause du manque des moyens financiers. Les 'demi-mesures' employées par après, les fonds des routes successifs, ne purent pas y remédier. Vanaudenhove était d'avis: "La programmation des travaux publics et la programmation financière ne pouvaient pas être séparées l'une de l'autre. Elles sont des sœurs siamoises, dont la naissance au niveau législatif doit être accélérée."

Le 9 août 1955, le Fonds Autonome des Routes 1955-1969 vit le jour. En tant d'organisme parastatal, il possédait une propre personnalité de droit, avec - en tout cas en théorie - considérablement plus de force financière que ses prédécesseurs. On lui permit de contracter des emprunts jusqu'à 30 milliards de francs pendant toute sa période d'existence. A côté de ça, il pouvait disposer du surplus d'argent du fonds de 1952, ainsi que d'une dotation annuelle de l'Etat pour garantir le fonctionnement du service financier. Tout aussi important est le fait que le fonds était en état d'engager du personnel d'une manière indépendante, aidant ainsi les fonctionnaires de l'Administration des Routes.

L'autonomie complète semblait cependant impossible. Le ministre des Finances se réservait le droit d'exécuter des contrôles lorsque par exemple le Fonds des Routes voulait contracter des emprunts. Il utilisa ce droit déjà en 1957, quand il refusa des emprunts à cause de la conjoncture abaissante du moment. Pendant les années suivantes, le montant réuni ne semblait pas toujours exclusivement consacré aux travaux routiers. Plus d'une fois, les budgets furent transférés vers d'autres ministères.

Cependant, l'effet bénéfique de cette formule pour la construction des autoroutes est difficilement niable. Pas moins de 18 milliards, soit 60% du total, seraient consacrés à la réalisation du réseau autoroutier récemment élaboré et qui comptait 1528 km. Il apparaît clairement que la population était d'accord, comme le prouve les inscriptions massives pour un emprunt de 2,5 milliards qui fut encore contracté pendant l'année de fondation. Dans la période 1955-1959, les investissements dans la construction des routes atteignaient un niveau qui était 132% plus haut que pendant les années 1949-1954; pendant la période 1960-1965 ce pourcentage monta encore jusqu'à 285%.

Les dispositions de 1955 furent adaptées pragmatiquement aux circonstances actuelles à travers les ans. Etant donné que le Fonds des Routes avait déjà dépassé en 1966 le plafond de 30 milliards de francs, on supprima cette limitation par loi du 25 janvier 1967. En même temps, l'institution reçut un statut définitif, car le programme prévu était loin d'être achevé. Le Fonds des Routes continua d'exister sous cette forme jusqu'à la régionalisation des Travaux Publics en 1991; à ce moment il avait déjà perdu sa raison d'être - accélérer la réalisation des autoroutes - depuis de nombreuses années.

Le résultat: les premières autoroutes (1956-1965)

Après la fondation du Fonds Autonome des Routes pour une durée de quinze ans, le ministre Vanaudenhove fit revoir le programme autoroutier. La longueur totale des autoroutes prévues comptait déjà 1528 km vers 1960, conformément aux nouvelles prévisions au sujet de l'évolution du parc automobile. Pour le reste, le ministre stipula le statut spécial des autoroutes par loi du 12 juillet 1956. La construction des bâtiments et le placement de publicité le long de ces routes furent interdits, et l'Etat remplaça les communes pour y organiser le trafic. Les autoroutes formeraient désormais une catégorie particulière, et chaque section qui était sur le point d'être construite devait être ajoutée à cette catégorie par arrêté royal.

Le programme autoroutier de 1960.
Programme autoroutier de 1960

Du programme projeté, à peine quelques dizaines de kilomètres étaient en construction pendant la deuxième moitié des années 1950. L'autoroute Bruxelles-Ostende (avec embranchement vers le Heysel) approchait de son achèvement, et presqu'en même temps la réalisation de l'Autoroute Roi Baudouin entre Anvers et Liège fut commencée. A l'ombre de ces autoroutes, Bruxelles fut relié à son aéroport et à Wavre, et les chantiers du contournement nord de Liège (entre Rocourt et Herstal) progressèrent. En décembre 1962, l'administration commença la construction de l'Autoroute de Wallonie et de l'E3 (les actuelles E17 et E34).

Déjà en 1955, il fut décidé que 60% des crédits du Fonds des Routes iraient à la construction des autoroutes. A partir de 1960 le montant pour les autoroutes (1,35 milliards de francs) dépassait effectivement celui pour la modernisation du réseau routier ordinaire (1,15 milliards de francs). Cette situation allait se maintenir jusqu'une bonne partie des années 1970. Les crédits augmentaient aussi en termes absolus: les exigences techniques plus contraignantes, par exemple au sujet du nombre d'ouvrages et la largeur de la chaussée, firent grimper le prix par kilomètre d'autoroute de 18 millions de francs en 1956 à 87 millions de francs en 1963.

Développement du réseau (1956-1964). Vous trouverez une liste des mises en service d'année en année dans la section Cartes du réseau.
Développement du réseau (1956-1964)

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